Le libertaire Jean-Bernard Pouy renoue avec la Série Noire et l’écriture à quatre mains dans un polar surtout social signé avec Marc Villard.
Comme d’habitude, on ne connaîtra pas tout de suite la contrainte oulipienne que les deux crocodiles -147 ans à eux deux- se sont probablement imposée avant de rédiger La Mère noire. Parfois c’est la succession des lettres de l’alphabet en tête de chapitre, parfois ce sont des incipits empruntés à d’autres livres. Cette fois, allez savoir le jeu de langage qui les a motivés à renouer avec l’écriture à quatre mains, et ce qu’ils nous cachent en ricanant, quinze ans après leur premier Ping Pong et dix ans après leur dernier Zigzag, parus alors chez Rivages. Sans doute une certaine idée du polar français, tel qu’il régnait dans les années 80, mélange d’érudition, d’humour, d’humilité, de satire sociale et de gauchisme assumé. Cette fois pourtant, et contrairement à leurs précédents opus en duo, chacun semble s’être gardé son pré carré et sa moitié de roman. À Pouy le récit d’ouverture, mené, c’est le cas de le dire, à un train d’enfer et à double voix: un père artiste et sa fille, Femen prépubère et réinterprétation de la Zazie de Queneau, qui se croyaient peinards dans leur petite gare désaffectée de Coat-Plogonnec en Bretagne et se voient embarquer dans un train voué à la lutte sociale, plein de syndicalistes très remontés. Une lutte joyeuse et anarchique qui tournera au cauchemar lorsque les flics sortiront leurs pistolets Flash-Ball.
Enfin vient Villard qui, dans un tout autre genre, raconte ce qu’est devenu la mère de notre petite héroïne, soi-disant partie ouvrir ses chakras à Goa. Elle est en réalité coincée en Camargue après un casse foireux et un parcours de vie qui n’a rien, mais vraiment rien, de psychédélique. Deux histoires d’utopies fracassées, de celles qui, sous la satire, les jeux de mots et de langage, brisent le coeur de cet anarchiste de Pouy, dont les 20 ans furent marqués par Mai 68.
Provocation et érudition
Pouy, qui comme Villard, a incarné le renouveau du polar français, en est donc aujourd’hui une des figures tutélaires. La preuve de ce nouveau statut, qui doit en même temps le flatter et l’énerver: la réédition de son tout premier texte, édité en 1983, un an avant qu’il n’intègre la Série Noire avec Nous avons brûlé une sainte, et douze avant qu’il n’invente son fameux Poulpe avec La petite écuyère a cafté, à savoir le bien nommé Spinoza encule Hegel, soit les aventures évidemment iconoclastes de Julius Puech, biker à la tête de la Fraction Armée Spinoziste et qui s’en va combattre son ennemi juré: Hegel et l’esthétique. Un justicier rock’n’roll et philosophe que Pouy a couché sur papier par trois fois (avec À sec et Avec une poignée de sable). Trois courts romans qui en disent long sur son auteur, regroupés aujourd’hui chez Folio sous le titre Trilogie spinoziste (344 pages). À lire après cette Mère noire hautement recommandable.
La Mère noire
De Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, éditions Gallimard/Série Noire, 144 pages. ***(*)
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